DAVID DIOP, COUPS DE PILON, 1948
I - PRESENTATION DE L’AUTEUR
DAVID DIOP COUPS DE PILON:David Léon Mandessi Diop, fils de Mamadou Diop Yandé (Sénégalais) et de Maria Mandessi Bell (Camerounaise) n’acquit le 09 Juillet 1927, à Bordeaux, en France. Il était marié et père de six enfants. Il fit une partie de ses études au Sénégal de 1931 à 1938, où il fréquente le Lycée Faidherbe de Saint-Louis. A partir de 1939, il va poursuivre ses études en France pour y obtenir son baccalauréat. En 1946, il s’inscrit en médecine. Deux ans plu tard, il publie trois poèmes : « Le temps du martyr », « Celui qui a tout perdu » et « Souffre pauvre nègre » dans la revue Présence Africaine, qui vient de naitre. En 1952, il s’inscrit à la faculté de Lettres de Montpellier et en 1954, il obtient une licence es Lettres plus un diplôme d’études supérieures de Lettres.
Au bout de quelques années, il revient au Sénégal pour y exercer le métier de professeur au Lycée Maurice Delafosse. En 1958, à l’appel du PAI, il gagne la Guinée, désertée par les cadres français. L’année scolaire terminée en en Guinée laissant par chance les enfants à l’escale de Dakar, David Diop et sa deuxième femme Yvette Messinère venaient passer leurs vacances à Paris. David quittait la Guinée au bout de deux années. Trois mois après, il effectue un voyage en chine au nom de la F.E.A.N.F. Dés son retour en France il prit la résolution de retourner à Dakar pour s’occuper de la S.A.C (Société Africaine de Culture) dont Alioune Diop songeait déjà à transférer le siège en Afrique. C’est lors de ce voyage qu’il périt dans une catastrophe aérienne le 29 Aout 1960 au large des Almadies.
II - COUPS DE PILON
A – ANALYSE
Le pilon désigne cet instrument domestique que les femmes utilisent pour moudre la céréale dans le mortier. Ainsi donc le pilon est un instrument de transformation. C’est pourquoi, les sources d’inspirations sont chez David Diop l’univers concret, les hommes dans leurs conditions de vie.
L’œuvre de David Diop se veut militante c’est-à-dire elle s’engage dans la réalité vivante, prend faits et causes des conditions sociales des pauvres. Son champ opératoire est la société dans toute sa dimension contradictoire reflétée par les luttes de classes. Sa poésie investit son discours dans le peuple pour non « interpréter le monde, mais le transformer » comme le disait Karl Marx.
Ainsi donc, les poèmes, les mots doivent donner des coups comme le pilon pour écraser, dans le but de faire prendre conscience en vue des transformations futures de nos sociétés. Coups de pilon est composée de 17 poèmes dont les thèmes seront abordés un peu plus loin au cours de cet exposé.
B – GENESE DE L’ŒUVRE
Parler de l’œuvre de David Diop, en ne la situant pas dans le contexte historique qui lui a donné naissance, c’est louper le coche dés le départ. En effet, c’est en référence à ce mot colonialisme qu’il faut expliquer la démarche et les motivations des poètes écrivains et hommes de culture de son temps.
Le trait caractéristique de cette période est le partage du globe qui mettra les colonies sous les « feux de la rampe du colonialisme. » En Afrique, les Etats sont détruits, les communautés historiques démembrées, leurs richesses pillées, la faim, la haine fratricide, la honte règne partout, absence totale de droit pour les dominés. Et « là où la rationalité du capital l’exigeait on construisait des cités minières. » Ce tableau apocalyptique ne pouvait laisser aucun africain indifférent, car comme le disait G. Gouraige : « A cette époque, le romantisme avait épuisé la veine des lamentations généreuses, et deux guerres mondiales auraient généralisé la douleur, au point qu’il n’y avait (plus) guerre de commisération sans emploi. »
C’est sous ce rapport, qu’il faut comprendre le cri lancé par les hommes de culture de l’intelligentsia nègre et africaniste.
De René Depestre à J. Roumain, en passant par le groupe de Légitime Défense et celui de l’Etudiant Noir, chacun y met du sien. Mais dans ce parcours historique pour la résistance héroïque de l’oppression des peuples noirs, seul les poètes communistes de la trempe de David Diop étaient conséquents jusqu’au bout.
Alliant la théorie à la pratique et ayant une compréhension aigue de l’histoire, David Diop émergea du lot.
C – THEMATIQUE DE COUPS DE PILON
Les titres annoncent le contact permanent de la poésie avec la réalité. On peut les regrouper dans l’optique des rapports de classes. Il y a en effet ceux qui s’adressent directement aux dominants c’est-à-dire les colons comme « les vautours » page 10 ; « L’agonie des chaines » page 13 ; « aux mystifications » page 17 ; « un blanc m’a dit » page 37. Il ya aussi ceux qui référent aux dominés, aux opprimés comme « le Renégat »page 19 ; « à un enfant noir » page 24 ; « défi à la force » page 38 ; « peuple noir » page 41 ; « appel » page 42.
L’œuvre s’organise autour de trois lignes de force : dénonciation du colonialisme, réhabilitation du continent noir et appel des opprimés à la lutte qui traduisent les trois ordres de temps : le passé, le présent et l’avenir.
1 – Dénonciation du colonialisme
L’Afrique d’autan n’était point, (contrairement à l’avis de ceux qui l’ont transformée en enfer) une terre de péché, peuplée de primitifs. Voilà pourquoi l’auteur regrette cette époque là en disant « O le souvenir acide des baisers arrachés, les promesses mutilées aux chocs de mitrailleuse. »
Alors, sans verser dans le romantisme ou dans un sentimentalisme excessif, David Diop affirme les valeurs du continent noir. L’Afrique est la source de l’identité noire où qu’il se trouve : « Auprès de toi, j’ai trouvé mon nom / Mon nom longtemps caché » page 22 et « O mère mienne et qui est celle de tous » page 9.
La mère dans « A ma mère », la danseuse dans « A une danseuse noire » et « Rama Kam » symbolisent l’Afrique d’autrefois, terre de beauté, de joie et de paix.
Soulignons cependant que si David Diop s’attarde à l’évocation du passé, c’est surtout pour mieux l’opposer à la situation qui prévaut maintenant, à l’heure des colonies, c’est-à-dire des assassinats, des viols, des tortures, du vandalisme. L’homme blanc renverse complètement l’ordre naturel des choses : adieu la tranquillité, adieu le bonheur, adieu la vie ; c’est le sens du poème « Celui qui a tout perdu » page 34, poème dont la structure (2 strophes) traduit bien la rupture entre les deux époques. La première strophe est entièrement consacrée à l’heureux passé, tandis que la deuxième introduite par l’adverbe « Puis » décrit l’enfer crée par la situation coloniale. Aux éclats de joie, succède le silence, le soleil s’éclipse, l’uniforme de guerre couvre la beauté nue des enfants, le grincement des chaines remplace le tam-tam. On détruit, on asservit pour mieux piller. Hommes sans cœurs, les colonisateurs se vautrent dans la capacité matérielle, le carnage et les barbaries de toutes sortes. On a affaire à des vautours, des hyènes, des monstres (…). Mais il ya plus anachronique encore : ces « savants » qui transforment le continent en gigantesque abattoir tiennent entre leurs mains u « livre » qui prêche l’amour. S’agit-il de l’amour de faire des martyrs ? C’est ce que l’auteur veut montrer dans le poème intitulé « Le temps des martyrs » page 33 : « Le blanc a tué mon père car mon père était fier, le blanc a violé ma mère car ma mère était belle »…
Mots concrets, syntaxe simple, langage économique et style clair accentuent la brutalité des oppresseurs.
Dans « Souffre, pauvre nègre » page 36, le poète revient sur les droits sexuels illimités que s’arroge l’occupant « ta case branlante est vide / vide de ta femme qui dort sur la couche seigneuriale. » La répétition et l’enchainement des vers symbolisent sans doute le maillon de la chaine des négriers. Du reste, les mots qui reviennent sans cesse sont sang, sueur, travail, esclavage, tous des termes qui se rapportent à l’exploitation physique. Exploitation qui parait normale aux yeux du colonisateur tant il est convaincu d’avoir affaire à un être inférieur et attardé, à un sauvage qu’il faut domestiquer.
2 – La réhabilitation du continent noir
Courbé, écrasé, le peuple noir s’éveille comme un volcan en éruption. Aux termes tels que « par delà », « l’ardente clameur » (dans « Ecoutez camarades ! ») lumière qui soulage tous, une sorte d’élévation, suivent des verbes comme « éclater » et « écraser » qui accentuent le mouvement ascendant.
Mais à l’inverse du volcan dont l’éruption constitue la fin de l’activité, l’explosion, le nègre correspondra à la phase purificatrice. Elle le libérera du joug colonial, étape importante dans la prison (« la liberté » page 46).
Le noir brûle les traces de la domination pour revivre et pour mettre fin à la hantise de l’angoisse. Vive donc le renouveau ! « Voici que s’élève grave ! La flamme multicolore de la liberté nègre » page 47. Liberté Nègre, car il s’agit d’une liberté bien singulière, spéciale, conquise au prix de nombreux « cadavres amoncelés. » David Diop ne doute point, on le voit qu’une action positive et collective amènera des lendemains heureux.
3 – L’appel des opprimés à la lutte
Le peuple noir était un peuple qui savait « hurler. » Et c’est précisément pour l’inviter à hurler avec énergie et à refuser irrévocablement la soumission que David Diop offre au lecteur une vision rouge et un tableau macabre et accablant des méfaits de l’esclavage, du colonialisme et des mystifications des exploiteurs. Révolte et libération : telle est la voie de l’avenir, voie pleine d’embûches certes mais combien exaltent ! N’est-ce pas le sens du cri du ralliement que lance David Diop dans «Ecoutez Camarades ! » page 20, « Voici qu’éclate plus haut que ma douleur / Plus pur que le matin où s’éveilla le fauve / Le cri de cent peuples écrasent les tanières / Et mon sang d’années d’exil / Le sang qu’ils crurent tarir dans le cercueil des mots / Retrouve la ferveur qui transperce les brumes. »
A noter la valeur de l’impératif « écoutez camarade », le poète invite les Noirs de tous les noirs du monde à s’unir dans la cause commune. Se lever et crier « Non » voilà la condition essentielle à laquelle l’homme noir retrouvera sa dignité.
CONCLUSION
David Diop est un poète engagé car pour lui, écrire c’est avant tout choisir de lutter pour la libération de ces masses opprimées. Et par rapport à Damas ou à Senghor, il ne se contente pas de la simple réhabilitation de la race noire encore moins de la simple dénonciation. Il va au-delà du nationalisme puisqu’il est l’un des rares de sa génération, exception faite de René Depestre à poser le problème des rapports de classes et à recommander la lutte comme seul moyen de libération. C’est l’ère que se situe l’aspect révolutionnaire et idéologique anti coloniale de son œuvre.
L’unité est la pierre angulaire de toute son œuvre. Unité entre fond et forme, c’est là, le talon d’Achille de l’œuvre engagée que pourtant David Diop a transcendé. Comme l’a dit Amidou Dia dans la Revue Jonction: « L’énergie musclée de ses vers, la puissance incandescente de son verbe explosif, la suave musicalité du rythme pétulant de son engagement poétique, la limpidité de son inspiration, la structure simple de ses poèmes, dégageant un parfum pathétique d’une sensibilité extrême à sa souffrance des peuples, sa foi en l’inéluctabilité de la victoire populaire, ont non seulement fait de David Diop le poète par excellence de l’Espoir mais aussi le plus poète Sénégalais en dépit de l’unicité de son œuvre. »