DÉVELOPPEMENT DES PAYS EN VOIE DE DEVELOPPEMENT
PRÉSENTATION
développement, pays en voie de, pays dont les structures économiques, politiques et sociales ne permettent pas de satisfaire les besoins fondamentaux des populations et qui se caractérisent principalement par une pauvreté massive ainsi qu’une faible insertion dans l’économie mondiale.
Historiquement, la distinction entre pays du tiers-monde, selon une expression, recouvrant également une dimension politique, popularisée par l’économiste Alfred Sauvy en 1954, et pays développés, riches et anciennement industrialisés, s’est opérée avec le mouvement de décolonisation amorcé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Depuis, les premiers se sont engagés de manière inégale dans la voie du développement, enjeu majeur des rapports Nord-Sud. Le monde en voie de développement, où vivent plus des trois quarts de la population mondiale, recouvre aujourd’hui une réalité très contrastée.
INDICATEURS ET INDICES DU DÉVELOPPEMENTS
Des évolutions contrastées
Depuis le début des années 1960, le développement du Sud s’est effectué à un rythme extrêmement rapide : les progrès économiques et sociaux réalisés sont à la mesure de ceux que connurent en un siècle les nations aujourd’hui les plus riches. Après une période de décollage économique, une rupture est cependant intervenue en 1973, avec le premier choc pétrolier. Le processus de développement s’est en grande partie enrayé avec la crise de la dette, en 1982, qui provoqua un tarissement des financements privés et qui fut aggravée par une détérioration continue des termes de l’échange. Après cette « décennie perdue du développement », la croissance économique a certes repris, mais le retard accumulé explique que l’écart entre Nord et Sud ait globalement continué de s’accroître.
Les situations sont cependant très différentes d’une région à l’autre, comme le souligne le rapport 1996 de la Banque mondiale. L’ensemble constitué par l’Asie de l’Est et le Pacifique, bénéficiant d’une forte croissance économique et de la majeure partie des flux de capitaux privés, est aujourd’hui davantage intégré à l’économie mondiale tandis que recule la pauvreté. Ces avancées globales dissimulent toutefois le fait que 80 p. 100 de la population de cette vaste région vit dans des pays à faible revenu, confrontés à des problèmes de développement importants. Le contraste est le même en Amérique latine et dans les Caraïbes, ensemble le plus lourdement endetté : au sein même des nouveaux pays industrialisés (NPI) comme le Brésil ou l’Argentine, les inégalités économiques et sociales n’ont cessé de se creuser. Le continent africain, malgré une récente amélioration en terme de croissance du produit intérieur brut (PIB), cumule les handicaps : sur fond d’extrême pauvreté, tous les indicateurs sociaux y demeurent inférieurs à ceux des autres régions ; l’investissement et l’épargne y sont toujours insuffisants pour susciter un développement endogène, et l’aide internationale, en recul ces dernières années, ne suffit pas à pallier ces carences.
Pauvreté et endettement
Le revenu constitue le premier indicateur de développement (ou de sous-développement). Selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), les habitants des pays en développement, soit 76 p. 100 de la population mondiale, se partagent seulement 16 p. 100 du revenu mondial. Si le rythme d’accroissement du revenu par tête est plus rapide au Sud qu’au Nord, l’inégalité se perpétue en raison d’un décalage mécanique : l’écart de revenu, entre les 20 p. 100 les plus pauvres et les 20 p. 100 les plus riches, a doublé entre 1960 et 1990. En 1996, un habitant des pays riches avait en moyenne un revenu dix-huit fois supérieur à celui d’un habitant des pays pauvres.
Les institutions financières et les organismes économiques intergouvernementaux opèrent une classification des pays en développement à partir du produit national brut (PNB) par habitant, sur la base de l’année 1992. En 1996, celui-ci était inférieur à 675 dollars dans 64 pays à faible revenu (PFR), parmi lesquels la Chine, l’Égypte et l’Inde, la majorité des pays les moins avancés (PMA) se situant en Afrique subsaharienne. Une cinquantaine de pays d’Afrique, du Proche-Orient, d’Amérique du Sud et des Antilles se situent dans la tranche inférieure des pays à revenu intermédiaire, pour lesquels le PNB par habitant est supérieur à 676 dollars et inférieur à 2 695 dollars. Trente pays, dont l’Argentine et l’Arabie Saoudite, et de nombreux pays d’Asie de l’Est, se classent dans la tranche supérieure de cette catégorie, avec un PNB par habitant compris entre 2 696 dollars et 8 355 dollars. Quinze pays figurent parmi les pays à revenus élevés, dont le PNB par habitant dépasse 8 355 dollars.
Ne disposant pas des ressources en capitaux nécessaires à leur développement, ces pays l’ont en grande partie financé en s’endettant à l’extérieur. À la fin de l’année 1995, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) chiffrait la dette extérieure totale des pays en développement à 1 940 milliards de dollars. Cette dette, qui a augmenté plus rapidement dans la seconde moitié des années 1990, est inégalement répartie, l’Amérique latine et les Caraïbes en supportant près du tiers, l’Asie et le Pacifique 22,9 p. 100.
L’endettement constitue une entrave à la poursuite du développement. Outre le fait que les sommes consacrées au remboursement de la dette sont détournées de l’investissement productif, les pays endettés sont contraints de privilégier les secteurs économiques tournés vers l’exportation au détriment de la satisfaction des besoins internes, notamment en ce qui concerne l’agriculture. Depuis 1983, en raison du remboursement de la dette, les flux financiers entre le Nord et le Sud se sont inversés, les pays en voie de développement transférant en moyenne vers leurs créanciers du Nord une somme nette de 40 milliards de dollars par an. En 1996, ils consacraient globalement un cinquième de leurs recettes d’exportation au service de la dette.
Place dans l’économie mondiale
Les structures de production reflètent également le décalage entre pays anciennement industrialisés et pays en développement, où le secteur agricole, peu productif, employait encore, en 1995, 60 p. 100 de la population. Entre 1960 et 1990, la contribution de l’agriculture au PIB des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, les moins industrialisés, a diminué d’un tiers, au profit du secteur secondaire.
L’essor de l’industrie manufacturière a permis aux pays d’Asie d’améliorer leur insertion dans le commerce mondial. En vingt ans, leur poids dans les échanges internationaux a doublé, essentiellement grâce aux exportations de produits manufacturés. Dans le même temps, la part des pays les moins avancés, toujours spécialisés à l’exportation dans les produits agricoles et les matières premières, dont le prix n’a cessé de baisser depuis le début des années 1980, était divisée par deux. Or, la participation aux échanges commerciaux constitue un facteur nécessaire du développement. Mais le commerce mondial demeure dominé par les pays de l’OCDE, à l’origine des deux tiers des échanges internationaux, dont ils définissent également les règles. Les exportations des pays en développement ne représentent qu’un cinquième du total des exportations mondiales, mais la moitié pour les produits primaires.
Mesure du développement humain
Les indicateurs économiques ne donnent qu’une vision partielle de la situation des pays du Sud. Aussi, le PNUD calcule-t-il, depuis 1990, un indice de développement humain (IDH), qui prend en compte non seulement le niveau de revenu, mais également l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’alphabétisation des plus de quinze ans. Les progrès sanitaires et sociaux ont permis de resserrer l’écart entre Nord et Sud : depuis les années 1960, l’espérance de vie moyenne a augmenté de dix-sept ans dans les pays en voie de développement, et le taux de scolarisation dans le primaire et le secondaire a été multiplié par 1,5, ce qui a provoqué un recul relatif de l’analphabétisme.
En 1996, cependant, l’IDH atteignait 0,916 pour les pays industrialisés contre 0,570 pour les pays en développement. Cette moyenne masque à nouveau de fortes disparités, entre d’une part l’Afrique subsaharienne (0,389) et l’Asie du Sud (0,453), d’autre part l’Amérique latine et Caraïbes (0,823), et l’ensemble constitué par l’Asie de l’Est et le Pacifique (0,874 sans la Chine).
L’ensemble des pays en voie de développement connaît un accroissement démographique, rapide et soutenu, même si les prévisions pour le XXe siècle ont récemment été revues à la baisse. Si un certain nombre de pays, tels les « dragons » asiatiques, la Chine ou le Brésil ont amorcé leur transition démographique, la baisse de la fécondité accompagnant celle de la mortalité, le taux de fécondité demeure très élevé dans les pays à revenu faible et intermédiaire. En Afrique subsaharienne, il atteint ainsi 6,1 enfants par femme.
Cette croissance de la population engendre des coûts supplémentaires en matière de développement humain et accroît la pression sur les ressources naturelles, alors même que les pays en développement ne sont pas encore parvenus à l’autosuffisance alimentaire et que les infrastructures sanitaires et sociales demeurent défaillantes. Plus des deux tiers des enfants sont aujourd’hui frappés de maladies ou d’incapacités dues à la malnutrition ou aggravées par elle, et le taux de mortalité infantile est de 3 à 10 fois supérieur à celui des pays industrialisés ; près de 40 p. 100 des habitants des pays en développement n’ont toujours pas accès à l’eau potable.
L’insuffisance des structures sanitaires est particulièrement frappante dans les grandes villes du Sud, qui se développent de manière anarchique, attirant en masse des paysans chassés par la raréfaction des terres cultivables ou pâturables. Entre 1950 et 1990, la population urbaine des pays en développement a quadruplé lorsque celle des pays industrialisés doublait.
THÉORIES ET POLITIQUES DU DÉVELOPPEMENT
Approches économistes
Théories et politiques du développement ont longtemps négligé les facteurs socioculturels, le développement étant essentiellement pensé en termes de croissance du revenu. La révolution industrielle servait de référence. Pour des économistes tels Walt Rostow ou Arthur Lewis, le retard du tiers-monde par rapport aux pays riches s’analysait par une insuffisance de l’épargne intérieure, entraînant celle de l’investissement productif.
Rostow proposa ainsi dans les années 1950 un modèle du processus de développement en cinq étapes, de la société traditionnelle à celle de la consommation de masse. Le décollage de l’économie ne pouvait intervenir qu’après une période de transition, correspondant à l’accumulation de capital et à la diffusion des connaissances technologiques. Dans ce contexte, l’aide internationale devait se substituer à l’épargne intérieure et fournir les ressources nécessaires au décollage. Elle s’orienta en priorité vers les infrastructures économiques et les « industries industrialisantes ».
Les théoriciens du dualisme et de la dépendance, tels Raul Prebisch ou François Perroux, ne remirent pas en cause la nécessité de l’aide internationale. Mais celle-ci constituait un juste retour de ressources vers des pays dont les matières premières étaient achetées à bas prix par les pays industrialisés, qui les transformaient en produits finis revendus à des prix supérieurs. Cette thématique de l’échange inégal fonda la revendication d’un nouvel ordre économique international, qui domina les rapports Nord-sud durant les années 1970.
Ces économistes mettaient également l’accent sur la spécificité des économies du Sud, caractérisée par un dualisme entre un secteur traditionnel négligé et un secteur moderne tourné vers l’extérieur, renforçant la dépendance à l’égard du Nord. Pour mettre fin à cette inégalité et à cette dépendance, les pays du Nord devaient accepter d’ouvrir largement leurs marchés et contribuer à la stabilisation du prix des matières premières ; les ressources dégagées par des échanges plus équitables devaient être consacrées à un développement autocentré, afin de permettre la substitution progressive de produits nationaux aux importations.
Le courant tiers-mondiste, représenté par Samir Amin ou Gunter Frank, défendait une politique plus radicale de rupture avec le capitalisme, considéré comme un modèle imposé par le Nord dominant, et de déconnexion du marché mondial. Les pays qui adoptèrent le modèle socialiste développèrent en priorité l’industrie lourde.
Dès les années 1960, des critiques avaient été émises à l’encontre des deux types de théorie. Albert Hirshman avait ainsi mis en doute la capacité d’absorption de l’aide par les économies sous-développées. En l’absence de cadre institutionnel adéquat, une grande partie de l’aide fut en effet gaspillée, et la priorité absolue donnée aux infrastructures lourdes donna parfois le jour à des complexes coûteux et parfaitement improductifs.
En Asie, l’accent avait davantage été mis sur l’amélioration de la production agricole, avec pour double objectif de réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur et de dégager, par l’augmentation du niveau de vie paysan, une épargne mobilisable pour l’industrialisation. Si une politique protectionniste permit, dans la phase de décollage, de protéger les industries nationales naissantes, la réussite des « dragons asiatiques », confrontée à l’échec des expériences autarciques, a démontré que l’insertion dans l’économie mondiale était une condition essentielle du développement.
3.2 Pour un développement de qualité
L’échec des politiques fondées sur une vision mécaniste du développement, le renforcement des inégalités, y compris celles engendrées par la croissance économique dans certains pays en voie de développement, contribuèrent à réorienter la réflexion en la matière. À partir des années 1970, les programmes de développement, sous l’impulsion du PNUD, prirent davantage en considération les spécificités culturelles et sociales des pays concernés ainsi que leurs structures institutionnelles.
L’accent fut mis sur la satisfaction des besoins fondamentaux des populations. Il ne pouvait y avoir de développement sans que fût résolu le problème de l’insécurité alimentaire et sanitaire, sans élévation du niveau d’éducation des hommes et des femmes, acteurs du développement local. À la notion d’un modèle imposé de l’extérieur se substitua l’idée que le développement devait être un processus endogène, favorisé par la mise en place d’un cadre politique, financier et juridique favorable à l’initiative économique. Les populations devaient être plus étroitement associées aux projets de développement : leur participation fut notamment encouragée par les organisations non gouvernementales (ONG), de plus en plus impliquées sur le terrain.
La mise en œuvre des politiques d’ajustement structurel, à partir des années 1980, a cependant marqué un retour à la primauté de l’économie. Elle a eu pour conséquence immédiate de renforcer l’influence des institutions financières intergouvernementales au détriment des organismes spécialisés des Nations unies. Ces politiques ont incontestablement contribué, en Amérique latine et en Asie, à rétablir les grands équilibres financiers, et partant, à restaurer la confiance des investisseurs et prêteurs étrangers. Mais elles ont eu un coût social extrêmement élevé. Leur efficacité est davantage contestée dans les pays les moins avancés, notamment africains. Là, le processus d’industrialisation et de diversification de l’économie est à peine amorcé. Les possibilités de croissance sont hypothéquées par l’existence de multiples goulets d’étranglement (infrastructures inconsistantes ou défaillantes, segmentation des marchés internes et absence d’intégration régionale), handicaps aggravés par la corruption, la bureaucratie et l’instabilité politique.
En fait, ces facteurs de blocage sont désormais mieux intégrés aux stratégies de développement et au cours des années 1990, les approches de la Banque mondiale, voire du Fonds monétaire international, ont tendu à rejoindre celles d’organismes tels que le PNUD. Un consensus tend à se dégager quant aux priorités : la transformation des modes de production, que doivent accélérer les transferts de technologie, doit s’accompagner d’une réforme de l’État et d’un changement des structures sociales. Il n’en demeure pas moins que l’évolution des pays en voie de développement dépend étroitement du contexte international, à plus forte raison lorsque s’opère une mondialisation de l’économie.