JEAN ANOUILH, ANTIGONE, EDITION DE LA TABLE RONDE, 1944
I-PRESENTATION DE L’AUTEUR
Né à bordeaux en 1910 dans un milieu modeste, Jean Anouilh ne fit pas de longues études supérieures. Il fit un an et demi à la faculté de Droit, travailla pendant deux ans dans une maison de publicité et quelques temps comme secrétaire de l’acteur et metteur en scène Louis Jouvet. C’est chez ce dernier que sa vocation pour le théâtre se confirma. D’ailleurs, la pièce Siegfried de Jean Giraudoux mise en scène par Jouvet en 1928 déclencha cette vocation. C’est ainsi qu’il décida de ne vivre que du théâtre.
En 1932, il eut un premier succès avec sa pièce l’Hermine. A partir de ce moment, il devient très prolixe et écrit plusieurs pièces qu’il classe lui-même en 4 catégories : Pièces Roses, Pièces Noires, Pièces brillantes, Pièces grinçantes. Les œuvres qu’Anouilh a classées « Roses » et « Noires » sont pessimistes et se présentent comme une révolte contre tout ce qui porte atteinte à la pureté des êtres : révolte contre la tyrannie de l’argent qui contraint les pauvres à s’abaisser, les avilit et surtout les humilie, rendant impossible l’amour entre pauvres et riches ; révolte de l’adolescence contre les laideurs de l’existence ou la mauvaise conduite qu’elles favorisent, et contre l’impossibilité d’abolir les flétrissures, de purifier sa conscience pour régénérer sa vie. Dans Antigone par exemple c’est la vie elle même qui est rejetée, comme incompatible avec l’exigence nostalgique de la pureté. Avec les pièces Brillantes et Grinçantes, la Satire de Anouilh devient plus âpre, plus crispée. Il s’en prend sans relâche au mythe de l’amour heureux. Il semble céder à la tentation du théâtre d’idées et critique la situation moderne, l’armée, la démocratie…
II- ETUDE D’ANTIGONE
A-ANOUILH ET LE CONTEXTE DES ANNEES 40
Au moment où on jouait Antigone le 4 Février 1944, la France vivait les derniers mois les plus tyranniques de l’occupation allemande. C’est aussi au moment où l’offensive déjà victorieuse des forces alliées sous la houlette des U.S.A. faisait renaitre l’espoir en l’homme que J. Anouilh a voulut réaliser la grandeur de l’homme sans Dieu et les idéologies à travers la représentation d’Antigone. Comme beaucoup d’autres écrivains, il a décidé de se jeter dans la mêlée car il ne veut pas demeurer tranquille, les bras croisés avec une attitude d’indifférence face à cet état de fait. Défaite, espoir, déception n’est ce pas cela la condition de l’homme ? C’est cette lutte qui a valu la représentation d’Antigone le 04 février 1944 dans un Paris occupé par les Nazis. On peut cependant se demander la signification d’une telle œuvre dans un contexte historique apparemment différent de celui Gréco-romain qui a beaucoup apporté au monde moderne. Pour comprendre l’œuvre, il est nécessaire de s’interroger sur les sources de l’auteur et pourquoi il est allé à la recherche de Sophocle.
B-LES SOURCES DE L’ŒUVRE
Les sources essentielles de l’œuvre restent Antigone de Sophocle joué en 441 avant J.C. C’est un drame profondément émouvant tiré du mythe d’Œdipe.
Selon la légende Laïos, le roi de Thèbes a reçu un présage selon lequel il aura un fils qui tuera son père et épousera sa mère. Jocaste, la reine de Thèbes, pour empêcher la réalisation d’un tel présage, abandonne son fils Œdipe qui vient de naitre en plein foret dans les montagnes espérant qu’il sera dévoré par des fauves. Il sera recueilli par le roi de Corinthe qui va l’élever comme son propre fils, sans jamais lui révéler le mystère de son origine. Œdipe grandit ainsi dans l’insouciance et le maniement des armes et devient un soldat intrépide (très courageux). Il apprend lui aussi le terrible présage qu’il tuera son père et épousera sa propre mère. Bouleversé, il va fuir ceux qu’il prenait pour ses propres parents, ignorant qu’il courrait vers son destin.
Dans sa fuite, après une querelle avec un voyageur, il le tue ; c’était son propre père, il ne le savait pas. Arrivée à la porte de Thèbes, sa ville natale, menacée par un monstre le Sphinx, il le tue après un combat et délivre ainsi le peuple du monstre. Proclamé roi par la cité, Œdipe épouse la veuve Jocaste qui en faite était sa mère. De cette union naitront quatre enfants : deux fils, Etéocle et Polynice et deux filles, Ismène et Antigone. C’est seulement après qu’Œdipe découvre l’horrible vérité. Alors, il se creva les yeux et erra à travers la Grèce guidé par sa fille Antigone. Le pouvoir étant vaquant, les deux frères décident de gouverner grâce à une rotation du pouvoir tous les ans. Mais Etéocle refusa de céder le pouvoir à son frère Polynice et ils moururent tous les deux lors d’une bataille qui les opposa.
C-RESUME ET INTERPRETATION
Le destin tragique de cette famille sur laquelle les Dieux s’acharnent va mener leur oncle Créon au trône car il n’y avait que lui pour le faire. Il décida d’organiser des funérailles grandioses à Etéocle et décrète contre l’organisation de funérailles pour Polynice : « Quiconque oserait lui rendre les devoirs funèbres serait mis à mort. ». C’est avec horreur que les deux sœurs apprennent la grave intention de leur oncle. Antigone se révolte prend la décision d’ensevelir son frère quoique cela puisse couter. A partir de cet instant, tout se précipite de façon dramatique : Antigone meurt, Hémon, le fils de Créon et fiancé d’Antigone se tue, Eurydice, la mère de Hémon, se suicide. Seul Créon reste en vie. Face à son destin de chef, la démesure de l’homme a mis en marche la fatalité.
L’orgueil de l’oncle et de la nièce a fait des victimes innocentes. On peut alors s’interroger sur le drame de la famille d’Œdipe. Son père Laïos a tout fait pour éviter ce destin funeste (mourir) Œdipe aussi à tenter de l’éviter. Ce fut peine perdu, on a comme l’impression que les Dieux se délectaient de leur impuissance. Le cours de leurs existences étaient tracé une fois pour toute et quoi qu’ils fassent, ils ne pourraient échapper à leur destin. La démesure du nouveau roi Créon va précipiter les choses et entrainer des morts inutiles, ceux des innocents qui attendaient tout de leur vie : bonheur, prospérité, amour…N’est ce pas cela la 2e GM. Tous ces hommes et ces femmes qui ont péri sous les bombes, dans camps de concentration et les chambre à gaz, pourquoi sont-ils morts ? N’était-il pas possible de dévier le cours du destin qui avait frappé le monde de 1939 à 1945 ? Jean Anouilh écrivain engagé dans le combat de son époque était interpellé par ces questions et son œuvre semble être une tentative d’éclairage sur cette crise qui frappe le monde.
C-RESUME SEQUENTIEL DE L’ŒUVRE
- Première séquence : Le prologue présente au public différent personnage en résumant leur caractère. Ainsi défile devant nous « Antigone », la petite et maigre Antigone qui pense qu’elle va mourir. Ismène sa sœur très belle et l’heureux Hémon fiancé d’Antigone et le fils de Créon, Eurydice femme de Créon qui n’est d’aucun secours de son mari, la nourrice symbole de l’enfance et le roi qui médite seul « la difficile tache de conduire les hommes », le messager et enfin les trois grands auxiliaires du pouvoir.
- Deuxième, Troisième et Quatrième séquence : La nourrice surprend Antigone revenant à 4 heures du matin et elle est scandalisée par les propos de la jeune fille « J’avais un rendez-vous »(P.16). Ismène apparait et elle est au courant de l’édile de son oncle et la volonté suicidaire de sa sœur qu’elle d’ailleurs de dissuader. Ismène tient à la vie, elle a peur de la souffrance et de la mort. Antigone est certes une enfant qui appelle affection et tendresse mais cela ne diminue en rien sa volonté de lutter jusqu’au bout « La volonté d’un homme n’attend point le nombre d’année ».
- Cinquième séquence : Nous découvrons Hémon fils de Créon et fiancé d’Antigone. C’est une scène d’amour émouvante que le destin tragique va encore frapper. C’est dans cette séquence qu’Antigone révèle à Hémon même Médie : « Jamais, jamais je pourrais t’épouser »(P.41)
- Sixième séquence : Un garde informe Créon que quelqu’un a enseveli le corps de Polynice. Le roi cherche à étouffer le scandale : « Si personne ne sait qui vivra » dit-il aux gardes terrorisés. Créon est désemparé, la crise éclate, tout est remis en cause.
- Septième séquence : Le chœur entre et explique au public sa conception de la tragédie, renforce l’impatience du public qui veut savoir ce qui va se passer si le coupable sera pris. Les gardes entrent en scène poussant Antigone : c’est l’explosion, que va-t-il se passer ?
- Huitième séquence : Les gardes expliquent les circonstances de l’arrestation de la demoiselle qui apparait entêter et cherchant désespéramment la mort. Les gardes ne savent même pas l’identité de la rebelle. Leurs seuls soucis c’est d’exécuter les ordres et obtenir des gratifications.
- Neuvième et Dixième séquence : Abattu, Créon découvre son nièce menottée aux mains immédiatement il met les gardes au secret. La dixième séquence est la plus importante de la pièce, elle met face à face l’oncle roi et la nièce rebelle, elle se déroule en plusieurs phases :
- Créon est assez calme, maitre de lui même il veut étouffer l’affaire au besoin en liquidant les témoins gênant que sont les gardes, malheureusement sa nièce refuse tout compromis.
- Malgré l’impertinence de sa nièce, Créon accuse le sort et s’efforce de sauver cet enfant, la dompter pour ne pas affaiblir son autorité en ce début de règne. C’est une Antigone hélas provocante qui sait où elle va.
- Toujours calme, Créon apprend à sa nièce qu’il ne veut pas la tuer. Celle-ci lui demande de faire son devoir qui est de servir, de tuer.
- Créon change de tactique en banalisant le geste de sa nièce, mais celle-ci rétorque qu’en ensevelissant son frère, elle a manifesté sa liberté.
- Créon raisonne et tente de faire comprendre à sa nièce les difficultés à gouverner les hommes, la nécessité de certaines lois mais hélas c’est peine perdue, Antigone demeure inflexible.
- Créon exaspéré bat ses dernières cartes en avouant à Antigone que tous ses frères étaient des voyous. Ces propos ébranlent Antigone qui comprend qu’elle allait mourir pour rien. Elle est sur le point de céder quand son oncle commet une dernière erreur qui remet tout en cause en parlant du bonheur future de sa nièce et de son fils Hémon.
- C’est le mot bonheur qui fait tout chavirer, Antigone se ressaisit et reprend l’initiative. Qu’est ce que le bonheur dérisoire, ce bonheur d’égoïste et de retraité que lui offre Créon ? Antigone se révolte contre ce sale bonheur et dès lors Créon sait que tout est fini.
- Onzième séquence : Ismène entre et désire partager le sort de sa sœur « Trop tard tu as choisi la vie et moi la mort ». Insulté et provoqué jusqu’au bout Créon appelle les gardes pour conduire Antigone à la mort, content elle crie « Enfin Créon tu fais ton devoir de roi »
- Douzième séquence : Hémon interpelle Créon pour sauver Antigone mais le roi reste sourd. Mais Antigone mourra car elle le veut et Hémon guérira de son amour. Désespéré, il sera comme un fou.
- Treizième séquence : Antigone est seule avec le garde à l’heure de la mort : ni sa nourrice, ni sa sœur, ni Hémon encore moins le garde indifférent ne peuvent l’aider. Le garde lui parle plutôt de sa solde et de son avancement, lui annonçant froidement qu’elle va être enterré vivante. En ces heures dramatiques, elle n’oublie pas celui qu’elle aime et qu’elle n’épousera jamais. Elle ne sait plus pourquoi elle va mourir, elle demande pardon aux siens que cette mort absurde risque de déboucher sur le néant.
- Quatorzième séquence : Le messager vient annoncer qu’Antigone est suspendue dans la tombe. Hémon vient en catastrophe et se tue après avoir craché sur son père, Eurydice, la mère de Hémon se tue également. Créon est désormais seul mais la succession de mort n’arrête pas la machine de l’Etat. Le lendemain il va au conseil car la marche des affaires de l’Etat n’attend point quelque soit les malheurs des gens.
D-ANALYSE DE L’ŒUVRE
Il ya une différence fondamentale entre la pièce de Sophocle et celle de J. Anouilh : les deux contextes qui ont vu naitre les deux œuvres ne sont pas les mêmes. Dans Antigone de Sophocle tout beigne dans un contexte religieux, sacré et l’héroïne obéit aux lois divines lorsqu’elle s’engage à ensevelir son frère malgré l’interdiction de son oncle, elle a conscience qu’elle accomplit un acte religieux et sait également que son oncle blasphème. Le roi a outrepassé ses prérogatives car les lois divines sont supérieures à celles des hommes. Antigone a un devoir religieux et pense qu’elle ne doit pas se dérober. Elle et les autres semblent vivre une tragédie qui les dépasse. Quant à la pièce de J. Anouilh, elle est désacralisée, aucune référence religieuse. Créon lui même dit que « Les cérémonies funéraires sont un passeport dérisoire, un bredouillage enchéri sur la dépouille d’un défunt». L’attitude de Créon est essentiellement dictée par des considérations politiques opportunistes. Il a besoin d’un héros de la nation et il a choisi le premier corps, celui qui était le moins abimé. Il le dit dans la pièce : « J’ai fais ramasser un des corps les moins abimé des deux pour mes funérailles et j’ai donné l’ordre de laisser l’autre pourrir là où il était. Je ne sais même pas lequel et je t’assure que cela m’ai t’égale.»(P89).
Dans l’œuvre de J. Anouilh, Antigone court à la mort, elle est animée par un sentiment d’orgueil vis-à-vis d’elle même et de la cité. Au moment de mourir elle ne comprend pas les raisons de sa mort car son acte lui semble avoir perdu de sens ; elle vie dans l’impasse mais elle va tout de même vers la mort. Dans sa mort elle entraine celle de Hémon son fiancé et d’Eurydice cette grande muette et épouse de Créon. Elle meurt, condamnée par un roi qui ne croit plus aux motivations réelles d’un tel acte : « Tous ceux qui avaient à mourir sont morts… ». Malgré la succession des morts Créon retrouve tranquillement ses activités quotidiennes, il est désormais seul et seule l’action lui permettra de se réaliser en se livrant dans des sacrifices inutiles.
CONCLUSION
Lorsqu’on termine la lecture de cette œuvre, on n’est frappé par l’acharnement des Dieux contre la famille d’Œdipe, une famille qui disparait, qui s’éteint et qui pourtant à déployer beaucoup d’efforts pour échapper à son destin. Antigone est une œuvre amère, une tragédie absurde. Dés lors on comprend le message de l’auteur quand on se rappelle le contexte de l’œuvre, la 2e GM. En effet, cette tragédie est celle de la France, occupée par l’Allemagne, qui avait tout fait pour éviter la guerre : des conférences, des traités, des discours d’apaisement mais toujours violés par