VICTOR HUGO, LES CONTEMPLATIONS, 1856
INTRODUCTION
Par l’ampleur de son destin, la durée de sa vie et de sa carrière, la richesse de son inspiration, la puissance de l’expression et la diversité de son œuvre (poésie lyrique, dramatique, satirique, épique, roman, théâtre, essai…) ; Victor HUGO apparaît comme un géant de la littérature française du 19e siècle. Dans son art et dans ses idées, HUGO se fait sinon le guide, du moins, l’interprète éloquent des mouvements d’opinions. Persuadé que le poète remplit une mission, il a pris une part active aux grands débats politique de son temps. La vie d’HUGO déborde largement la période romantique. En effet, au moment ou ce mouvement littéraire rend vers sa chute, HUGO indifférent au monde littéraire accompli de manière solitaire les promesses du romantisme.
I- L’AUTEUR : VIE ET OEUVRE
Victor HUGO est né en 1802 à Besançon d’un père bonapartiste, commandant, général et comte de l’empire et d’une mère royaliste, qui leur donne une éducation libre et studieuse rue des feuillantines, à Paris. Très jeune il se lance dans la carrière de lettres. Ses Odes et ballades (poésie) 1826 attire très tôt l’attention. La pièce de théâtre Cromwell (1827) très anticlassique et le recueil de poèmes les Orientales (1821) le place à la tête du mouvement romantique. En 1930, la bataille littéraire qui entoure les représentations d’Hernani tourne au triomphe du romantisme et d’HUGO. Dans les années qui suivent, HUGO approfondit et diversifie son inspiration en donnant des chefs d’œuvres dans tous les genres : roman (Notre Dame de Paris, 1831) ; théâtre (Ruy Blas, 1838) ; poésie (Les Feuilles d’automnes, 1831 ; Les Chants du crépuscule, 1835 ; Les Voix intérieures 1837, les Rayons et les ombres, 1840.)
En 1840, la fille du poète, Léopoldine, se noie accidentellement dans la Seine à Villequier. Suite à ce deuil, HUGO cesse un temps de publier. Après avoir soutenu Louis Napoléon Bonaparte, il est vite déçu par sa politique conservatrice. Il militera alors contre la misère et le travail des enfants, pour l’assistance publique, la liberté de la presse et du théâtre et le suffrage universel. Il est contraint de s’exiler en tant qu’opposant au second empire à Jersey puis à Guernesey. Cette épreuve politique lui inspire le recueil Les Châtiments, 1853 ou il s’attaque à Napoléon. L’épreuve familiale c’est-à-dire la mort de Léopoldine lui inspire son chef d’œuvre lyrique Les Contemplations, 1856, dans laquelle le poète pleure la perte de l’être aimé. Il se consacre ensuite à l’épopée humaine qu’il traduit en vers dans La Légende des siècles, 1859 et en prose dans son célèbre roman Les Misérables, 1862.
A la chute du second empire, HUGO rentre à Paris couvert d’honneur, car l’histoire lui donne raison sur Napoléon III. Député puis sénateur, HUGO est l’idole de la gauche républicaine et l’écrivain populaire par excellence. C’est pourquoi lorsqu’il meurt le 22 Mai 1885, ses funérailles nationales le 1er Juin 1885, voit une foule considérable se presser de l’arc de triomphe au Panthéon pour rendre un dernier hommage à celui qui aura marqué tout le 19e siècle sur presque tous les plans.
II- ETUDE DE L’ŒUVRE
A- ANALYSE
Les Contemplations, comme le dit HUGO lui-même dans la préface de ce recueil de poème, représente « les mémoires d’une âme ». Ce livre retrace en effet l’itinéraire moral et spirituel du poète pendant un quart de siècle (1830-1855) avec une coupure tragique à la date du 4 septembre 1843 : « C’est une âme qui se raconte dans ces deux volumes. Autrefois, Aujourd’hui. Un abîme les sépare, le tombeau. » Toujours dans la préface du recueil, il revendique et explique la fonction du poète, qui est d’exprimer dans ses vers, les questions de son cœur, les questions de tous. Il dit « je » plus qu’il ne dit « nous » car il est conscient que « la destinée des hommes est une.». C’est pourquoi, il lance ce fameux cri : « Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous (…) Ah ! Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! » Les Contemplations « exprime la vie d’un homme, oui, et la vie des autres hommes aussi. » Enfin, les Contemplations est le livre ou vit l’âme du poète.
B- GENESE DES CONTEMPLATIONS
C’est pendant son exil à Jersey (1852) que HUGO envisage une grande œuvre en vers appelée les Contemplations et qui sera divisée en deux volumes : « Autrefois », poésie pure ; « Aujourd’hui », flagellation de tous les maux et des injustices. Il s’agit bien sûr de Napoléon et de ses complices. La mort de Léopoldine est considérée comme un crime, l’usurpation du pouvoir le 2 décembre 1851 est aussi un crime politique. Tous ces deux crimes posent le problème du mal. Le poète s’aperçoit qu’il ne peut juxtaposer les poèmes de douleur personnelle et les poèmes d’invective politique. Mais comme le temps presse et que le devoir de la résistance à la dictature n’attend pas, il travaille d’abord sur les poèmes politiques qui seront publiés en 1853 sous le titre des Châtiments. Ensuite, il se donne tout entier aux Contemplations et aux questions lancinantes qu’il se pose plus que jamais : Pourquoi la mort des innocents ? Pourquoi l’injustice triomphante ? Pourquoi la misère et le chagrin ? En mai 1856, paraissait à Bruxelles et à Paris Les Contemplations.
C- STRUCTURE ET COMPOSITION DES CONTEMPLATIONS
Le recueil est très bien structuré. Cette structuration est imposée par la mort tragique de Léopoldine. Les contemplations sont composées de 157 poèmes inclus l’Epilogue, « A celle qui est restée en France » qui dédie le recueil à Léopoldine (dernier poème qui clôt les contemplations).
La mort de Léopoldine domine le livre, lui donne son sens et son organisation. Elle éclaire même d’un jour nouveau tel poème antérieur à 1843. Hugo a ordonné et organisé ses poèmes de façon logique, chronologique et même psychologique.
Ainsi, les Contemplations est composé de deux volumes : « Autrefois » et « Aujourd’hui ».
a-« Autrefois » (1830-1843) ; 87 poèmes
Les poèmes qui composent ce volume, sont supposés êtres écrits avant 1843. Ils racontent le bonheur parfait et connut, les fêtes de la famille et de la nature. C’est un ensemble de 87 poèmes qui témoignent de l’évocation de l’heureux temps. HUGO y retrace avec nostalgie les délices de son enfance, sa vie de couple, son bonheur paternel durant les 13 brèves années. Il regardait grandir ses enfants, il vivait dans l’extase. Mais tout à coup, la fatalité s’en mêle ; Léopoldine se noie avec son époux le 4 septembre 1843.
Cette partie est composée de trois livres : « Aurore » 29 poèmes, « L’Ame en fleur » 28 poèmes, et « les luttes et les rêves » 30 poèmes.
« Aurore » symbolise le réveil, le commencement du jour. Elle représente aussi la lumière, la clarté qu’apportent les contemplations dans le mouvement romantique. C’était le matin de la vie du poète, les mouvements de bonheur qu’il a vécu avec sa famille.
Dans « L’âme en fleur », le poète se redresse pour voir les choses en face après la tristesse et la douloureuse perte de sa fille. Son âme qui était fanée se refleurit. Il a maintenant le temps d’écrire.
« Les luttes et les rêves » représentent les luttes du poète pour les ambitions politiques, sociales, mais surtout littéraire. Car, après le manifeste du romantisme dans « la préface de Cromwell » qui est une véritable déclaration de guerre aux classiques, la bataille fait rage au cours des représentations d’Hernani de Février à Juin 1830. Hugo et les romantiques en sortent vainqueurs.
b- Aujourd’hui (1843 – 1855) ; 69 poèmes
Cette partie est écrite par un Victor Hugo dans le désespoir. Il ne voit plus qu’avec son âme, ses sens étant enterrés avec le corps de sa fille. Cette fille présente tout pour le poète : c’est son sang, sa chair et ce qu’il a aimé le plus au monde. Ainsi, les cris d’ « Aujourd’hui » sont les échos d’une tombe. Hugo, comme surgit du fond du gouffre, déchire l’univers par ses pleurs, il blasphème. Ces poèmes, inspirés par la douleur paternelle, le souvenir désolé des temps heureux avec le sentiment d’une présence de l’enfant disparu, comptent parmi les plus beaux de Victor Hugo. C’est la période de la grande puissance qui provoque une crise de réminiscence heureuse en comparaison au malheur aiguisé que vit le poète. Hugo rompt avec le silence de sa souffrance muette. On s’est même étonné que le poète ait écrit ses plus beaux vers au moment où Juliette Drouet venait de perdre à son tour sa fille. Loin d’être choquant, ce fait révèle un élargissement de la sensibilité d’Hugo. Il est désormais le frère de ceux qui souffrent, la souffrance lui a appris tout le sens de la communication humaine.
« Aujourd’hui » se compose de trois livres : « Pauca Meae », 17 poèmes, « En marche » 26 poèmes et « Au bord de l’infini », 26 poèmes.
Dans « Pauca Meae », premier livre d’ « Aujourd’hui », Hugo rompant le silence de sa souffrance muette, chante tour à tour le souvenir de sa jeune fille bien aimée, la douleur d’un père éprouvé par une fin si monstrueusement absurde et la permanence de la souffrance par delà l’exil, par delà la tombe.
« Au bord de l’infini » offre un élargissement considérable de l’inspiration hugolienne. Prenant ses distances par rapport à son drame personnel et paraissant « contempler » cette fois d’un même regard contemporain « Autrefois » et « Aujourd’hui. Le poète s’abime dans une vision conscience universelle.
Dans « Au bord de l’infini », dernier livre des Contemplations, Hugo nous fait assister à la lutte des lumières et des ténèbres (la vie et la mort). En effet, retrouve sa foi chrétienne et sa lucidité après une période de scepticisme liée à la perte cruelle de sa fille. Ce livre est peuplé d’anges et d’esprits qui lui apportent des révélations inattendues. Ainsi dans le poème « Ecoutez, je suis Jean » Hugo libère son génie poétique fondé sur le futurisme en représentant le poète voyant la fin du monde. Cette vision apocalyptique lui permet de se projeter dans l’avenir qui appartient au domaine de l’irrationnel.
D – LE STYLE DES CONTEMPLATIONS
Le caractère visionnaire des poèmes d’Hugo trouve sa source dans la façon dont il conçoit la fonction du poète. Hugo visionnaire, ne saurait se passer de l’image. Mais les notions abstraites se retrouvent aussi recouvertes d’un coup réel ou mythique. Les vices deviennent des taupes, les crimes, un phalène (papillon nocturne), l’éternité un gouffre où se vide ta tombe, l’inconnu un tabernacle, l’infini un Suaire (linceul).
Tout repose sur l’art de la déformation, un ensemble énorme se réduit à un objet visible, tantôt un être minuscule prend des proportions fantastiques. C’est ainsi que l’univers, l’araignée peuvent apparaitre comme hydre animiste et présent ici : chaque chose vit une vie délicieuse ou monstrueuse et le monde hugolien mêle les mythes, les personnages, les êtres vivants personnifiés.
A coté de l’image, trouve la versification où Hugo emploie les figures de styles comme le rejet, le contre rejet, l’enjambement et où ses vers, pour la plupart des alexandrins ont parfois un rythme qui fait songer aux vers libres ou à la prose.
E – THEMATIQUE DES CONTEMPLATIONS
1- Le désir et l’amour universel
La poésie de Victor Hugo est fondée sur l’amour : l’amour de la femme, l’amour de sa fille, l’amour de la patrie, l’amour du peuple. D’ailleurs n’a-t-il pas écrit deux jours avant sa mort que « aimer c’est agir » ? L’amour justifie donc l’action de Victor Hugo. Il célèbre aussi le corps et le désir parfois à l’état pur. Mais Hugo ne donne pas au désir la première place de l’amour. L’amour pour lui, vient du cœur, il est « le rayon qui illumine l’âme », il est « la poésie pure ». Le désir n’est pas l’amour, il doit être son expression. Il dira : Aimer, c’est voir, sentir, rêver, surprendre ».
2-Le mystère de la douleur
La disparition tragique de Léopoldine représente une douleur incurable pour le poète. On se souvient qu’après cette disparition, Hugo a arrêté toute activité littéraire. Mais, malgré un dernier sursaut, les poèmes qu’il a eu à composer reflètent entièrement son état d’âme. Jusqu’à la fin de sa vie, la douleur sera son compagnon. Dans « Pauca Meae » par exemple Hugo exprime à la fois le peu de choses qu’il peut faire encore pour sa fille en comparaison à ce qu’il ressent. Les souvenirs sont d’autant plus poignant aujourd’hui, qu’autre fois il était plus heureux. « Pauca Meae » est une plainte inachevée, humble, tragique mais dérisoire puisque aucune plainte ne sert jamais à rien. Cette douleur ressentie par le poète le pousse parfois au blasphème mais plutard à la soumission et non à la résignation. Il le dit très clairement dans son poème « A Villequier » : « … Et mon cœur est soumis, mais pas résigné. » Il accepte de se soumettre, d’adorer l’être éternel mais ne peut pas l’aimer.
3- Le mystère de l’injustice
Hugo ne tolère pas l’injustice et très tôt il l’a combattu par tous les moyens qu’il avait eus à sa disposition. Ne s’est-il pas opposé à Napoléon III, lorsque celui-ci a décidé de régner par la force et par le sang ? Mais, la problématique de l’injustice reste entière.
Comment l’expliquer ? Comment la justifier ? Or, on la découvre partout : l’inégalité des âmes et du sort constate Hugo, est terrifiant, car certains enfants viennent au monde avec toute les chances au berceau alors que d’autres naissent dans la famine, portent des germes des maladies les plus graves, subissent les atrocités de toutes sortes. Ces enfants sont-ils coupables ? L’injustice sociale s’ajoute à l’injustice naturelle. A travers ses œuvres, Hugo a montré presque toutes les formes d’injustices qui sont le fait des hommes et a invité à la charité et à la pitié.
CONCLUSION
Les contemplations de Hugo est une œuvre éminemment riche d’enseignement. Elle est le fruit d’une douleur personnelle, mais au-delà de celle-ci, l’œuvre pose des questions les plus fondamentales concernant l’amour, la mort, la douleur, l’injustice, la divinité…
C’est pourquoi au-delà de cette souffrance de Hugo et des questions qui semblent se poser essentiellement à son sort, il est évident que les Contemplations est la peinture des souffrances de tous les hommes sur terre car, Hugo c’est nous même.