ETUDE DES CIVILISATIONS 2e PARTIE : LA CIVILISATION MUSULMANE
INTRODUCTION
Né dans la péninsule arabique au VIIe siècle, l‘islam est l‘une des trois grandes religions révélées. Cette nouvelle religion, qui s‘inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs, est prêchée par le prophète Mohamed de 610 à 632. A sa disparition, ses successeurs se sont employés à propager l‘islam à travers le monde qui compte actuellement une large communauté d‘environ un milliard d’adeptes. Cette religion, avec son dogme et son culte qui en sont les fondements propose à l‘homme un véritable code de conduites socio-politico-économiques faisant partager aux musulmans une même civilisation.
I.NAISSANCE DE L’ISLAM
L‘islam, comme le judaïsme et le christianisme, est né au Proche-Orient, précisément en Arabie, péninsule désertique située entre la mer Rouge et le golfe Persique.
1.L’Arabie préislamique
Avant l‘avènement de l‘islam, l‘Arabie était peuplée d‘éleveurs nomades, guerriers et pillards qui se faisaient continuellement la guerre. Sur le plan politico-social, il y avait une anarchie ordonnée avec la cohabitation de différentes tribus dont celle des Quraysh, à laquelle appartient le prophète qui est l‘une des plus puissantes à La Mecque. Sur le plan économique, les activités reposaient sur l‘élevage nomade, sur l‘agriculture d‘oasis et sur le commerce avec la Syrie et la Palestine. La plus grande ville, La Mecque, était une métropole à la fois commerciale et religieuse qui, chaque année, abritait une grande foire où étaient échangés les produits matériels et immatériels.
2.Le contexte historique
Au moment où l‘islam commençait à prendre forme, le monde était plongé dans une situation de décadence générale et profonde. Les plus grands empires de l‘époque (Byzance et la Perse) étaient dans une phase de désintégration avancée. Leurs peuples, victimes de la tyrannie, de l‘arbitraire, de l‘intolérance des chefs, attendaient impatiemment le libérateur.
3.Mohamed et la naissance de l’islam
Il est né vers 570 à La Mecque. Il appartient au clan des Banou Hâchim, de la tribu des Quraysh. Fils de Abdallah et de Amina, Mohamed a eu une enfance assez difficile : morts de son père avant sa naissance, de sa mère en 577, de son grand-père Abu Mutalib deux ans après. Il se retirait dans la grotte du Mont Hira pour noyer son angoisse métaphysique. En méditant au cours d‘une de ses retraites, l‘ange Gabriel lui révéla sa mission en 610. Il avait
alors 40 ans. Il commença alors à prêcher mais, devant l‘hostilité croissante et la persécution des Mecquois, il dut s‘exiler à Médine en 622. Cette date, appelée Hégire, marque le début de l‘ère musulmane.
A Médine où il fut bien accueilli, il forma la Umma et le premier Etat musulman fondé sur le seul lien religieux, Mohamed déclenche la guerre sainte (Jihad) contre La Mecque par la victoire de Badr en 624, la défaite d‘Uhud en 625, la victoire de Khandaq en 627. En 630, Mohamed et ses fidèles prennent d‘assaut La Mecque qui est conquise. En 632, le prophète effectue son pèlerinage d‘adieu car il s‘éteint la même année à Médine le 8 juin.
II.LE CORAN ET LES FONDEMENTS DE L’ISLAM
L‘enseignement de Mohamed s‘appuie sur le Coran qui est la base de la loi, de la morale et du droit de l‘acceptation du dogme et de la pratique du culte.
1.Le Coran (récitation)
C‘est le livre de la révélation qui compte 114 sourates et 6 211 versets. Il est descendu en fragments en 23 ans (de 610 à 632). Ce texte a été rassemblé par le calife Ousmane en 653. La tradition prophétique, appelée sunna est un ensemble de hadiths qui constituent un précieux appoint du Coran.
2.Les fondements de l’islam
- Le dogme : c‘est la base de la Il s‘articule autour de 5 principes fondamentaux :
Ø la croyance en un Dieu unique ;
- la croyance aux anges ;
Ø la croyance à tous les prophètes ;
- la croyance aux livres révélés ;
Ø la croyance au jour de la résurrection.
- Le culte : il repose sur 5 piliers
la profession de foi (shahada), consiste à reconnaître qu‘il n‘y a de divinité que Dieu et Mohamed est son prophète.
la prière rituelle (salât) : Elle se fait 5 fois par jour dans la direction de la
le jeûne : l‘observation d‘un mois de jeûne (ramadan) permet aux musulmans de vivre le calvaire de la faim pour mieux les sensibiliser à la solidarité aux nécessiteux.
l‘aumône légale (zakat) : c‘est l‘aumône légale qui permet de purifier nos biens : animaux, récoltes, économies On prélève un certain pourcentage pour manifester notre solidarité envers les croyants plus démunis.
Le pèlerinage à la Mecque : Il ne revêt aucun caractère obligatoire. Le fidèle qui en a les moyens licites peut se rendre à la Mecque pour entrer en communion avec la communauté musulmane. Pendant un mois, il peut vivre sa condition primaire d‘homme. Le président, le paysan, le professeur, l‘élève, le prince se débarrassent de tous traits distinctifs de leurs conditions sociales pour revêtir le même uniforme, pour exécuter les mêmes
En dehors de toutes sec obligations canoniques, le musulman doit observer certaines prescriptions comme l‘interdiction de consommer de l‘alcool, de la viande de porc, de pratiquer des jeux de hasard, l‘usure, le vol, la relation sexuelle en dehors du mariage, l‘adoration des idoles, etc.
Nous venons de Lui et nous retournerons à Lui et c‘est pour cette raison que nous rendrons compte à Dieu de tous nos actes.
III.LA CONSTITUTION DU MONDE MUSULMAN
1.La diffusion de la conquête
Peu avant sa mort du prophète, l‘islam avait commencé à se répandre en Arabie. Mais c‘est après sa mort que commença l‘expansion véritable de l‘islam. Sous les règnes des 4 califes orthodoxes, Abu Bakr (632-634), Omar (634-644), Ousmane (644-656) et Ali (656- 661), la conquête a pris trois directions :
- Vers le nord, la Syrie et la Palestine sont conquises entre 635 et 640.
- Vers l‘ouest, l‘Egypte est conquise en 639 puis la Cyrénaïque (Libye).
- Vers l‘est, la Mésopotamie et la Babylonie (en Irak et en Perse) sont conquises entre 637 et 642. A la mort de Ali en 661, Muhawiyya devint calife et instaura la dynastie Omeyyade. En 750, la dynastie Abbasside prend le relais puis est renversée en 1258 par les Mongols. Un siècle après la mort du prophète, l‘islam s‘était taillé un vaste empire s‘étendant de l‘Espagne à l‘ouest jusqu‘en Chine à l‘est et de l‘Atlantique en Afrique à l‘Indus en Asie.
2.La diffusion par la voie pacifique
La fin de la conquête militaire n‘a pas signifié l‘arrêt de la diffusion de l‘islam. Celle-ci a continué à se faire par diverses voies pacifiques. Dans les pays non conquis d‘Afrique, d‘Asie, d‘Amérique, les conversions se sont faites par un long contact avec les marchands musulmans par le biais du commerce transsaharien du XIe au XVIe siècle et plus tard au XIXe siècle, grâce au rôle actif des marabouts dans le cadre des confréries. Au XXe siècle, la méthode de la persuasion, initiée par de grands érudits comme Cheikh Ibrahima Niasse, a recueilli l‘adhésion massive de populations à l‘islam.
IV.LA CIVILISATION MUSULMANE
Les musulmans ont élaboré progressivement une civilisation faite de synthèses dynamiques des apports pluriels de peuples conquis.
1.Sur le plan politique
La prise du pouvoir doit être soumise à l‘approbation populaire (Ijma), fondement de la démocratie. Le calife est le guide religieux et politique. Il est assisté par des émirs (chefs militaires) et les imams (guides religieux). Les lois sont discutées par les oulémas, interprétées par les muftis et appliquées par les cadis (juges).
Aujourd‘hui, l‘islam offre un éventail large de régimes politiques, depuis les théocraties absolues (Arabie saoudite), en passant par des républiques plus ou moins démocratiques (Syrie), la république (Iran), la monarchie éclairée (Maroc).
2.Sur le plan social
L‘islam prône le renforcement des liens familiaux et de solidarité communautaire. L‘islam tolère certaines pratiques comme la polygamie et favorise l‘égalité des hommes avec la recommandation d‘affranchir les esclaves. Il accorde à la femme plus de droits (droit à l‘héritage, droit de se prononcer sur le mariage, suppression de l‘infanticide, participation à la vie économique, sociale et religieuse).
3.La cité
C‘est le cadre dans lequel s‘est développée cette civilisation. La ville s‘organise autour de 2 pôles :
- la grande mosquée, bien décorée, se trouvant au cœur de la cité et siège de la medersa (collège religieux) ;
- le quartier des affaires avec ses souks (marchés) et atéliers
4.La vie intellectuelle
Les lettres et les sciences ont connu un développement grâce aux écoles coraniques et aux universités. La principale langue littéraire est l‘arabe, à côté du persan et du turc. C‘est une littérature d’inspiration religieuse, mais aussi profane. Les genres littéraires dominants sont la poésie, les contes et les fables. Le recueil de contes populaires le plus célèbre est celui des Mille et une nuits. Grâce aux conquêtes et au commerce, les Arabes ont introduit peu à peu chez eux les techniques chinoises. Ils ont traduit dans leur langue les manuscrits de la Perse, de l‘Inde et surtout de la Grèce antique. Ces traductions sont regroupées dans de grandes bibliothèques. Ceci leur a permis de mieux se cultiver et de faire avancer la science dans plusieurs domaines. Ainsi, ils fondent l‘algèbre ; leurs astronomes, par l‘observation des étoiles, émettent l‘idée que la Terre tourne autour du Soleil ; leurs médecins parviennent à ligaturer (serrer avec un lien) les artères, à anesthésier (endormir artificiellement une personne ou une partie de son corps) les malades et à opérer les yeux. Enfin, leurs géographes comme Ibn Battuta ou Al Moqqadasi font des descriptions précises sur l‘Afrique et l‘Asie et dressent de nombreuses cartes.
5. La vie artistique
L‘art musulman est beaucoup influencé par la Perse, Byzance et l‘Egypte. C‘est un art iconoclaste d‘autant plus que l‘islam interdit la représentation des êtres vivants. Dans l‘architecture, les mosquées et palais sont les principaux témoins. On y voit de grandes salles soutenues par des colonnes (comme en Egypte), des voûtes à coupoles et des décorations de mosaïques (comme à Byzance). Le décor est assuré par des figures géométriques, des phrases du Coran ou des arabesques (dessins stylisés de végétaux).
V.L’EVOLUTION DU MONDE MUSULMAN
Environ un milliard d’individus forment aujourd‘hui la communauté musulmane (Umma islamique). Les ¾ des musulmans vivent en Asie, dans le reste de l‘Afrique et de plus en plus en Europe et en Amérique.
C‘est surtout la conquête mongole qui a brisé l‘unité politique du monde musulman. Au XVe siècle, les Turcs ottomans recréent un empire avec l‘Indo-Orient, le Maghreb et l‘Europe balkanique qui survit jusqu‘à l‘expansion européenne. Aujourd‘hui, la très nombreuse communauté islamique se divise en plusieurs groupes avec :
- le groupe arabe qui va du Maroc à l‘Irak,
- le groupe turc, des Balkans au Turkestan Mustapha Kemal y joua un rôle important en réformant l‘islam en supprimant le califat ;
- le groupe indien : c‘est le groupe le plus nombreux. Il reste localisé en Inde et au Pakistan où l‘ourdou, langue d‘écriture et de vocabulaire et de grammaire indienne est la langue
1. Les tendances historiques
a.Les sunnites orthodoxes
Ils constituent 90 % des musulmans, sont soumis aux règles de la sunna contenue dans les hadiths. Ils sont divisés en quatre écoles à cause des interprétations différentes du fiqh. Ainsi, on distingue :
- l‘école malékite fondée par l‘imam Malick Ibn Anas : elle admet comme source le Coran, la sunna et la coutume médinoise ;
- l‘école hanéfite fondée par Abu Hahifa en 767 : c‘est une école qui admet l‘analogie et l‘opinion personnelle ;
- l‘école chaféite, fondée par Al Chafi (767-820) : elle limite la sunna aux seules traditions attribuées formellement au prophète ; l‘école hanbalite fondée par Ahmad Ibn Hanbal (780-855) : sa doctrine repose sur le Coran et la sunna et rejette toute innovation (bidda).
b.Les kharijites
Ils sont considérés comme les puritains de l‘islam. Ils refusent l‘hérédité du califat car, pour eux, il doit être électif. Ainsi, pour eux, toutes les composantes de la Umma sont égales. Ainsi, un esclave peut devenir calife s‘il est jugé le plus digne. Ils sont divisés entre eux :
- les Azraqites partisans de l‘extrémisme et de la lutte armée ;
- les Najadat qui prônent la prise du pouvoir par les armes ;
- les Sufrites qui condamnent le meurtre politique ;
- les Ibadites (de Abdallah Ibn Ibad) qui sont intransigeants sur le plan politique et moral mais sont pluis souples dans leurs relations avec les autres
c.Les chiites
Ce sont les partisans de Ali (9 % des musulmans). Leur doctrine est fondée sur l‘imam et le culte des imams. Ceux-ci doivent être les descendants de Ali. Parmi les chiites, on distingue :
- les imâmites ou duodécimains qui croient au retour de l‘imam caché, 12e descendant de Ali (Iran, Irak, Liban, Pakistan, Inde, etc.) ;
- les Zaydites, partisans du cinquième imam, proches des sunnites à la différence près que l‘imam doit être descendant du prophète et avoir mérité le pouvoir par les armes, son courage et sa piété (Yémen) ;
- les Ismaïliens partisans du septième imam (Ismaïl), extrémistes, qui disposent de sociétés secrètes qui opèrent à des recrutements et initient les adeptes (Perse, Syrie, Inde, Egypte). On distingue plusieurs groupes : les Fatimides au Caire, les Qarmates en Syrie, les Druzes au Liban, les Alaouites au Maroc, etc.
Malgré les nombreuses disparités, les musulmans adoptent la même foi fondée sur la révélation divine à Mohamed. Ils font du Coran leur référence première et de la sunna leur deuxième source. Les cinq piliers de l‘islam sont acceptés de tous et la langue arabe est reconnue comme la langue par laquelle Allah s‘est exprimé. La création de la Umma dirigée par un calife est aussi un facteur d‘unité.
2.Les tendances actuelles
Comme toutes les religions, l‘islam a été secoué par la modernité. Ainsi, par rapport à celui- ci, se dessinent deux courants principaux, l‘un réformiste qui veut composer avec elle, l‘autre radical qui s‘en démarque. Pour mieux faire face aux grands bouleversements du XXe siècle, les musulmans ont préconisé les regroupements.
a.Le courant réformiste
Ce courant veut composer avec la modernité, c‘est-à-dire essayer d‘en bénéficier. Ainsi il propose de s‘approprier les conditions du succès de l‘Europe, notamment sa science et ses techniques. Parmi ses fervents défenseurs, on peut citer l‘Afghan Jamak Al Dîn al Afghani (1839-1897), l‘Indien Mohamad Iqbal (1873-1938), le Turc Mustapha Kemal qui supprima le califat le 3 mars 1924, l‘Iranien Mohamad Khatami.
b.L’islamisme radical
Son objectif est de résoudre les problèmes de la société par la religion et aussi restaurer l‘intégralité des dogmes de la religion musulmane : c‘est le fondamentalisme. On parle aussi d‘intégrisme. Les fondamentalistes font une interprétation rigoureuse et intransigeante du Coran, mettent l‘accent sur la guerre sainte (comme le mouvement Frères Musulmans, fondé en 1927 en Egypte par Hassan El Banna), sont hostiles à la science, au progrès, à l‘émancipation des femmes et rejettent la laïcité (c‘est le cas des Ayatollahs d‘Iran).
c.Les tentatives actuelles d’union du monde musulman
Pour mieux sauvegarder leurs intérêts dans un monde en perpétuelle mutation et garder l‘unité entre eux, les musulmans ont créé des organisations comme la Ligue arabe (22 mars 1945), l‘Union du Maghreb arabe (UMA), le 17 février 1989, et l‘Organisation de la Conférence islamique (OCI). Cette dernière, plus large, a pour objectifs de défendre la cause musulmane dans le monde avec comme principal symbole la libération de Jérusalem, de développer la tolérance, l‘unité et la coopération entre les Etats musulmans. Il s‘agit aussi de promouvoir le dialogue de l‘islam avec le monde, notamment avec les chrétiens (dialogue islamo-chrétien).
CONCLUSION
L‘islam a apporté à la terre anarchique et païenne d‘Arabie une civilisation. Prophète de cette région, Mohamed, grâce à ses innombrables qualités et son inspiration divine, a pu substituer au désordre établi un ordre nouveau qui s’est propagé sur une bonne partie du monde. Cet ordre nouveau, enrichi de différentes cultures qu‘il a traversées et civilisations qu‘il a façonnées, a imprégné l‘histoire de l‘humanité. En déclin depuis l‘expansion européenne, l‘islam amorce aujourd‘hui une renaissance dont les manifestations ne sont pas toujours comprises des Occidentaux.